« Martha und die Ihren » (Martha et les siens) – Roman de Lukas Hartmann
Thème: Generationendialog
« Martha und die Ihren » (Martha et les siens) de Lukas Hartmann est un portrait familial autobiographique émouvant qui retrace l'histoire de sa grand-mère Martha et de ses descendants.
Les critiques saluent la description sensible que fait Hartmann du parcours de vie de sa grand-mère, ancienne enfant placée, ainsi que sa représentation précise de l’histoire des mentalités au XXe siècle en Suisse.
Martha incarne la génération d’avant-guerre du XXe siècle. Dans la première moitié du siècle, la majorité de la population était pauvre ou risquait de le devenir à tout moment. Après la guerre, pendant les décennies de haute conjoncture, beaucoup ont misé sur la possibilité réelle d’accéder à la prospérité grâce à un travail acharné. À partir des années 1960, la jeune génération, dont fait partie l’auteur Lukas Hartmann, a commencé à douter de plus en plus de cette attitude unilatérale.
Contenu : Martha grandit avec ses frères et sœurs dans des conditions modestes. À la mort de leur père, leur mère n’est plus en mesure de subvenir aux besoins de la famille et les enfants sont placés dans d’autres familles où ils travaillent en échange du gîte, du couvert et d’une éducation scolaire. Le manque d’amour et la dureté de son enfance et de son adolescence marquent Martha pour toute sa vie. Mais cette jeune femme intelligente parvient, grâce à son ambition et à sa persévérance, à acquérir une maison et de l’argent. Elle ne peut toutefois offrir que peu d’amour à ses enfants, dont la vie est également marquée par la quête permanente de reconnaissance et de prospérité. Seuls les petits-enfants de Martha osent sortir de cette routine et mener une vie autonome.
Martha ne laisse plus personne s’approcher d’elle, car tous ceux qu’elle aimait ont disparu de sa vie. La peur de nouvelles pertes la rend émotionnellement insensible. Cette distance est vraiment palpable. Lukas Hartmann ne permet qu’un très faible rapprochement avec les personnages, non seulement avec Martha, mais aussi avec son fils Toni. Il est donc difficile de ressentir de l’empathie, malgré le destin tragique des personnages. Certes, des comparaisons telles que « Verdingkind » (enfant vendu comme serviteur) – un enfant devient un objet – sont très touchantes, mais la dureté qui transparaît sans cesse – envers soi-même et envers les autres – rend difficile le développement d’une profonde compassion. Hartmann parvient néanmoins à donner une certaine profondeur à ses personnages. La personnalité de Martha, forgée par la misère, et la quête presque obsessionnelle de reconnaissance et de prospérité de son fils qui en résulte, montrent toute la vulnérabilité des personnes qui veulent gravir les échelons sociaux en partant du bas de l’échelle. Les petits-enfants de Martha, qui se rebellent et ne voient pas nécessairement leur raison d’être dans l’ascension sociale, mais plutôt dans l’épanouissement personnel, peuvent espérer susciter un peu plus de sympathie.
L’histoire familiale de Hartmann : dans la postface, on apprend que Lukas Hartmann retrace dans ce roman l’histoire de sa propre grand-mère et donc aussi celle de sa famille. Même si seul le prénom de Martha est resté inchangé, les parallèles sont indéniables. Malheureusement, Martha perd tout contact avec ses frères et sœurs, qui ont tous été placés dans différentes familles. On ne sait donc pas ce qu’ils sont devenus, ni ce qu’est devenue leur mère. Mais cela ne fait que renforcer la dureté de la jeune femme, qui travaille jusqu’à l’épuisement et ne s’accorde aucun plaisir, pas même des photos sur le mur ou des fleurs sur le rebord de la fenêtre.
Critique sociale : parallèlement au roman familial, « Martha und die Ihren » peut également être considéré comme une critique sociale. La manière dont les enfants placés étaient souvent traités, voire leur simple existence, pointe du doigt une société qui n’avait pas grand-chose à offrir aux laissés-pour-compte. Il est presque inévitable que leur vie misérable se répercute sur les générations suivantes, ce qui doit donc être considéré comme une critique. Comme pour les enfants de la guerre, les traumatismes sont transmis et ont une influence non négligeable sur les générations suivantes. Le roman est donc aussi un appel à la société pour qu’elle n’oublie pas les plus défavorisés.
Thomas Grünwald, membre du comité directeur de la FARES / VASOS